De Kyiv- au front. Deux jours avec les bénévoles sur la ligne de front

L‘article original a été publié sur le site d’EMPR. Il  est républie par l’UCMC en hommage à un des personnages, le lieutenant Andriy Blonsky décedé le 7 novembre 2016, après 30 mois passés sur le front, à la suite d’une crise cardiaque, alors qu’il se reposé en arrière-ligne

Nous avons déjà lu et entendu beaucoup de fois que grâce aux efforts des bénévoles, les soldats ukrainiens qui sont sur la ligne de front, reçoivent de la nourriture, des médicaments et tout le nécessaire pour vivre. 

À la recherche de la vérité notre correspondant a passé trois jours avec un groupe de volontaires, afin que nos lecteurs puissent plonger dans l’incroyable et l’unique système d’aide aux patriotes ukrainiens qui, par la force de l’esprit, la volonté de justice et parfois même au prix leurs propres vies, défendent notre terre de l’envahisseur russe. Lisez notre journal de bord détaillé, du lieu de collecte des provisions à la destination finale, point de distribution aux soldats ukrainiens.

Dès le début de la guerre, quand il est devenu clair que l’Etat était complètement impuissant face à l’agression, les ukrainiens eux-mêmes ont commencé à organiser des centres d’aide à l’armée ukrainienne.  Certains préparent l’aide, les autres collectent et emballent, d’autres au péril de leur vies et de leur santé acheminement cette aide jusqu’à la ligne de front. L’auteur de ces lignes a eu la chance  de rencontrer ces personnes et d’obtenir l’occasion unique de les accompagner dans un de leurs voyages. Alexandre et Maxime –membres de l’Union Ukrainienne des anciens combattants d’Afghanistan, transportent depuis plusieurs mois de l’aide aux militaires ukrainiens. Ils ont gentiment accepté de m’emmener avec eux.

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Le rendez- vous est prévu à proximité du siège de l’organisation bénévole Le talisman de la mère», Kyiv est dans le crépuscule. Tous les colis sont déjà emballés et empilés dans la rue, près de l’immeuble. Dans ces colis, céréales, gâteaux, muffins, biscuits, préparations déshydratées pour les soupes, des cagoules, des lingettes humides…Demain tout sera livré aux bataillons. Alexandre arrive. Tous les bénévoles participent au chargement de l’aide humanitaire. Le moment du départ de l’aide sur le front est particulièrement émouvant. Le chargement prend environ 15 minutes, puis le café « pour la route », la dernière cigarette et nous disons au revoir à nos volontaires «Que Dieu vous protège les gars, bonne chance».

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Premier arrêt, mais non le dernier. Nous nous arrêtons brièvement près d’une maison et récupérons encore quelques colis destinés au front. Puis à la sortie de Kyiv une autre voiture de bénévole bien chargée nous attend. C’est comme une petite caravane, nous quittons Kyiv. Direction Boryspil. Notre voyage commence!

Première escale dans une station-service quelque part dans la région de Poltava. Au-dessus de nos têtes, le ciel étrangement clair, plein de grandes étoiles brillantes. De la petite boutique sortent deux jeunes hommes qui se dirigent vers leur voiture. Ils nous remarquent, s’arrêtent une minute puis viennent vers nous. Ils déballent alors des sachets de bonbons et des tablettes de chocolat qu’ils viennent d’acheter : «Bonsoir ! Prenez-les s’il vous plait, donnez-les à nos gars là-bas !» Mes nouveaux amis remercient les gars, mais ne sont pas surpris . «Cela arrive tout le temps», dit Alexandre. Dans la station-service quelques voitures arrivent avec des volontaires en tenue de camouflage. Ils échangent quelques mots avec nous. Eux iront dans la région de Luhansk.

Nous finissons notre café et continuons la route. Alexandre se repose parmi les boîtes sur le siège arrière. Maxime est au volant. Il est d’humeur philosophe. On parle de Maïdan, et de l’avenir de notre pays.

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Au fur et à mesure que nous rapprochons de notre destination finale, mon excitation grandit. Bientôt, très bientôt, je vais voir l’autre terre, celle décrite dans mes reportages pendant un an et que j’ai n’ai jamais vu auparavant. Quand apparaitra ce premier point de contrôle militaire ?

La nuit passe très vite. Bientôt 9h du matin et nous entrons dans le territoire de la région de Donetsk. Derrière la vitre de notre voiture un paysage terne,  des peupliers coupés, des mines de charbons. Dans cette région de l’Ukraine les normes environnementales n’ont jamais été respectées. Les terres sont fatiguées, égouttées, presque épuisées. Même l’air est difficilement respirable. La poussière irrite le nez et la gorge tout en se déposant sur les vêtements et le visage. Je touche mes cheveux qui sont devenus raides au touché.  Difficile de respirer. Comment nos hommes résistent autant de temps sur cette terre ?  Surtout ceux qui sont venus ici pour leur service militaire en provenance de l’ouest de l’Ukraine, ou dans les montagnes des Carpates  l’air est frais et si délicieux.

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Dernier arrêt et dernier café, 15 minutes passent et nous continuons notre route. Maintenant nous ne nous arrêtons plus jusqu’au campement de notre premier bataillon.

Enfin, le premier point de contrôle militaire. Voici la frontière entre les deux Ukraine : l’Ukraine en paix et l’Ukraine en guerre où chaque jour des personnes meurent. Alexandre augmente la vitesse : la trêve officielle est très souvent violée par les séparatistes. Le terrain par lequel nous voyageons est souvent sous le feu de snippers. Paradoxalement, je ne sens pas la peur, mais la pression augmente. Ici nous devons être particulièrement prudents. Alexandre m’ordonne : «À partir d’ici nous n’attachons pas la ceinture de sécurité, car en cas de problème tu n’auras que quelques secondes pour sauter de la voiture. Tu ne peux pas perdre de temps à te détacher. Et tu t’allongeres alors près de la voiture, pas dans le fossé, car il peut être miné».

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Notre destination ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres de l’aéroport de Donetsk. A l’horizon, des nuages de fumée noire. Mes compagnons de voyage discutent au sujet de ce qui se passe :

-Je vois qu’ils tirent encore .
-Peut-être c’est l’œuvre de nos partisans ? 

Nous tournons sur un chemin de terre. A travers des fosses et des nids de poule nous poursuivons notre chemin vers notre première destination –un petit village situé à proximité de la base du 11ème bataillon d’infanterie mécanisée. La terre est sèche, les bâtiments délabrés, des tentes militaires vertes, des équipements. Près de la caserne, un gros camion de couleur sable est en réparation. Un peu plus loin un autre camion vert avec une cabine tordue, presque déchirée. Il y a quelques jours il a été touché par un obus. Ce camion transformé en un amas de ferraille aurait été mis à la casse dans l’armée d’un autre pays, mais l’armée ukrainienne connaît une grave pénurie d’équipements. C’est pour cette raison que les artisans de la 11ème brigade font l’impossible : réparer ce camion qui sera de nouveau leur fidèle serviteur.

J’essaie de communiquer avec les soldats, mais ces héros de l’Ukraine sont réservés et ne veulent pas être filmés. Seuls les officiers sont disposés à parler de la vie au front. L’un d’entre eux part ce soir. Il rentre chez lui à Kyiv avec nous. Son prénom est Volodymir, mais tout le monde l’appelle par son surnom «Féroce». Il  a passé  ici trois mois sur la ligne de front et son visage est marqué par la fatigue.

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Il déclare : «Je souhaite que notre pays devienne un leader en Europe, pour ça nous devons nous éloigner de ce esprit «soviet». Malheureusement certaines populations de notre pays continuent de vivre dans l’espoir d’une renaissance de l’Union Soviétique et la Russie l’utilise dans sa propagande. Ils disent que quand nous étions dans l’Union Soviétique les prix étaient bas et le niveau de vie plus élevé. Mais l’empire se crée et se disperse alors que  l’Etat fondé sur la base de l’idée nationale a été et reste toujours.»

Comme tous les militaires de l’armée ukrainienne, «Féroce» n’a pas oublié de remercier les bénévoles pour leur travail :«Mon vœux, un meilleur avenir pour nos enfants et petits-enfants. Je pense que nous y parviendrons. Pour le moment les gens ont montré ce qu’ils peuvent faire.  Ce sont des gens qui soutiennent l’armée, et, grâce à eux, l’armée ukrainienne se remettra sur pieds. Jusqu’à présent, les bénévoles aident à réparer et à acheter des équipements, des vêtements, de la nourriture, et de tout. Tous cela, grâce aux gens. Alors l’armée est devenue vraiment populaire;  ils ont montré ce qu’ils pouvaient faire.  Nous avons aussi changé notre attitude envers nos proches. Quand j’ai été blessé, j’ai vu des gens qui ont essayé  de m’aider. Je n’avais jamais vu ça avant. Je pense toujours que la situation dans laquelle nous vivons, fera de nous un peuple plus fort.»

Ensuite j’ai eu la possibilité de discuter avec Andriy  qui est lieutenant. Il est plein de force et d’énergie malgré son retour de la première ligne du front. Andriy a rejoint l’armée en tant que volontaire. Il est allé à Maïdan avec  le groupe «Sotnya Leva» et 11 personnes de ce groupe sont parties au front. La première fois, il a participé aux manœuvres dans la région du mont Karachun puis a été dans la région de Debaltseve, Chernukhina, Nikichino et Faschevka. Maintenant, pour la troisième fois il est dans la région de l’aéroport de Donetsk.

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Je lui demande si la trêve est respectée. Andriy hausse les épaules : «Il y avait un accord sur un cessez-le feu et le retrait de l’équipement lourd de la premier ligne de front. Et je peux vous dire que cette nuit, j’ai subi des tirs d’armement lourd et d’unités antichars. Normalement, je ne pense pas qu’ils y sont autorisés. Ces installations militaires sont utilisées contre l’équipement lourd et ils sont de très gros calibre. Mais cette nuit ils ont tiré sur moi et mes deux compagnons. Ils nous ont bombardés dix fois.» Andriy ne croit pas que l’Europe puisse aider l’Ukraine à arrêter Poutine. «l’Europe ne nous aidera pas. L’Europe a peur de la Russie. Surtout, le joueur le plus puissant dans l’OTAN reste bien sur les Etats-Unis. Et les Etats-Unis peuvent nous aider.  Nous aider avec des équipements adéquats pour nos soldats qui de toutes leurs forces protégerons leur frontière  à l’Est de l’Ukraine. Je suis un officier des troupes aéroportées de l’Ukraine. Et je me souviens toujours comment le premier char ukrainien a été découpé sur la base de Kiev, lorsque l’Ukraine a renoncé aux armements nucléaires. Et les Etats-Unis ont également participé à ce processus. C’est une gifle au visage de tous. Cela  signifie que la Russie pendant ce temps pris de l’ampleur et a continué à progresser dans ses armements. Ce n’est pas bon pour l’Amérique, elle doit nous aider».

Pendant ce temps des hommes finissent de réparer leur camion et le décorent de certaines phrases humoristiques. Andriy me montre cette œuvre d’art. Il me dit-« La dernière fois que ce régiment est sorti de Debaltseve et de Cherokino il a été ramené  à Desna. Il a reçu un camion GAZ-MM des années 40. Vous voyez avec quels dinosaures ces jeunes soldats protègent l’intégrité de l’Ukraine »

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Le camion démarre lentement. Je continue à discuter avec Andriy.

-Andriy, pourquoi êtes-vous ici personnellement ?

-Personnellement, je fais quoi ? Je n’ai aucun droit d’être ailleurs. Je participe pour la troisième fois aux manœuvres militaires. Je suis formé pour ça. Je dois le faire pour mon fils, pour sa mère, pour tous les gens que je connais. Je dois juste le faire. Je crois en un avenir meilleur pour l’Ukraine. Je ne peux pas ne pas y croire. Je dois y croire. 

Les colis destinés à ce bataillon sont déjà déchargés. Parmi eux il y a une petite boîte blanche. C’est le cadeau pour le 11ème bataillon de la part de la petite Masha, huit ans, habitante de Kyiv. Elle passe le colis à chaque caravane. Les soldats viennent vers nous, ils nous remercient. A côté d’eux un petit chiot très joyeux avec ses grandes pates sales. Un des soldats gratte les oreilles du chiot : «Quand je vais rentrer en congé à la maison je vais le prendre avec moi. Il sera mon animal de compagnie».

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Il est midi. Nous quittons le 11éme bataillon. Nous reviendrons le voir sur notre retour. Notre prochaine destination – le plus grand cauchemar du Kremlin, le bataillon des bénévoles du «Secteur droit»

Lisez la suite de l’histoire 

1 – Le lieutenant Andriy Blonsky est décedé le 7 novembre 2016, après 30 mois passés sur le front, à la suite d’une crise cardiaque, alors qu’il se reposé en arrière-ligne