Olena Styajkina : nous parlons de la désoccupation, pas de la réintégration, car nous n’avons jamais désintégrés

Olena Styajkina est professeur d’histoire, scientifique, écrivaine et journaliste. Originaire de la ville de Donetsk qu’elle a était forcée de quitter en 2014, elle a pris part à un débat intitulé «la désoccupation : comment ça marche» à l’UCMC. Olena a parlé de sa vision concernant les mécanismes de désoccupation, de l’expérience européenne sous l’occupation et des manières de traiter la collaboration.

Là où il n’y a pas de «Grads» Russes, il n’y a pas de guerre, ni d’occupation

Nous parlons délibérément de désoccupation. L’agression Russe a beaucoup de composantes en Ukraine : la guerre d’information, la guerre des civilisations, la pression sociale et la pression exercée sur les oligarques. Mais le problème principal reste l’agression en elle-même. Là, ou il n’y a plus de «Grads» Russes—les lance-roquettes multiples—il n’y a pas de guerre, ni d’occupation. Ironiquement, nos partenaires occidentaux ainsi que nos ennemis internes contribuent tous deux à une mauvaise compréhension du problème, car tous deux accentuent les notions de séparatisme, de réintégration, et même de ‘dé-séparatisation’ selon le scénario irlandais. Mais en vérité, le scénario Irlandais n’a jamais existé et n’existera jamais. Le risque final est que les forces en jeu—bienveillantes et nuisibles—participent à la réalisation d’une conception politique qui favoriserait l’établissement, chez nous, d’une nouvelle Irlande. Tandis que notre objectif est d’obtenir une nouvelle Ukraine, unie. Alors oui, des tensions existeront certainement toujours de par les différences qu’il existe dans notre pays, mais nous voulons tout de même une Ukraine où il fait bon vivre, une Ukraine intéressante et européenne. Telle est cette Ukraine que nous souhaitons, et non celle des revanchistes du Kremlin qui eux veulent un champ de mines pour les 20 ans à venir.

Donc, les mots sont très importants. Nous pouvons parler de la désoccupation, mais pas de la réintégration car nous ne nous sommes jamais désintégrés. Nous pouvons parler de collaborateurs qui travaillent pour la Russie, mais pas de séparatistes, car il n’y pas d’idée propre, donc il n’y a pas de séparatisme. Nous devons être sûrs que nous ne travaillons pas sur la rénovation du Donbass, mais sur la révision de l’Ukraine, y compris des régions de Louhansk et de Donetsk.

L’Ukraine entière a besoin de désoccupation

Qu’est-ce que la désoccupation et combien de temps durera-t-elle ? La désoccupation a une structure bien à elle. La première couche est l’Ukraine de la décommunisation, la désoccupation du territoire commence avant tout par une décommunisation (ou désoviétisation) de l’esprit, une libération de la conscience. La deuxième couche de la désoccupation est composée des territoires libérés. D’ailleurs, tous ces bénévoles qui travaillent maintenant à cet effet sont des praticiens de la désoccupation. Et nous allons pouvoir développer ces pratiques pleinement une fois que l’Ukraine reprendra le contrôle de sa frontière. Et même si nous devons nous attendre à un processus long et éreintant, cela ne doit pas nous effrayer, car l’Europe est déjà passée par la même étape toute aussi longue.

L’Ukraine et l’expérience européenne de la désoccupation

Prenons l’exemple de la désoccupation de la Belgique, des Pays-Bas et de la France. Si on parle de l’expérience Belge : 8 millions d’habitants et une occupation qui a duré quatre ans, la population collaborait avec l’occupant. Il y a eu en tout 400 milles procès juridiques ouverts, dont 80 milles personnes ont été reconnues coupables, mais dont seulement 48 milles ont purgé leur peine de prison. Ce fut alors que la notion de lois purificatrice qui doivent débarrasser la société des collaborateurs et laver l’honneur des héros déchus lors de l’occupation est apparue à Belgique.

L’expérience des Pays-Bas est une expérience du renouvellement de la confiance des citoyens envers le pouvoir. Plus de 900 maires de villes et de villages Hollandais ont collaboré et ont continué de remplir leurs fonctions lors de l’occupation. Ils ont tous été jugés et chaque affaire a été examiné au cas par cas.

L’expérience de la France est encore différente. Les Français ont collaboré activement, mais une fois que Charles de Gaulle est arrivé au pouvoir, il a dit : « La France s’est libérée elle-même. La France a besoin de tous ses enfants. » Est-ce que cela veut dire que nous devons copier l’expérience Française ? Non. Mais nous devons réfléchir aux leçons que nous pouvons tirer de cette expérience. Nous pouvons aussi nous inspirer de l’expérience Croate, non pas dans le sens de deséparatisation mais dans le sens des différents moments clés qui fut nécessaire au rétablissement effectif du pouvoir en Croatie.

Être tenu responsable de collaboration au même titre que d’être amnistié

Pour notre mouvement civil, il est crucial de comprendre qu‘afin de faire revenir le Donbass en Ukraine, il faut appliquer le système d’éducation Ukrainien. Une fois que nous avons commencé à élaborer notre feuille de route, nous avons compris qu’il ne suffisait pas de discuter avec ceux qui ont fui la région du Donbass, mais aussi avec ceux qui y sont restés. Les gens qui y sont restés ne sont pas des traitres. Vous ne vous imaginez pas combien de personnes attendent une libération. Et cette idée du droit à la responsabilité, l’idée selon laquelle certains ne veulent pas voir leur nom entaché de crimes qu’ils n’ont pas commis, c’est aussi le droit de pouvoir laver son honneur, et de rétablir la vérité. L’amnistie est justement un élément positif et important qui constitue l’une des conditions majeures des accords de Minsk ; mais une amnistie pourquoi ? Être amnistié de quoi ? C’est pour cela qu’il nous faudrait peut-être aussi établir une loi concernant la collaboration, qui pourrait précisément laver l’honneur de ceux qui ne sont pas coupables, mais qui déterminera en contrepartie la responsabilité juridique de ceux qui le sont. C’est un mécanisme d’assainissement compliqué, mais si nous réussissons à le mettre en place, nous allons laver cet affront, cette stigmatisation et, surtout, ce champ de mine du séparatisme imposé par le Kremlin. Nous parlerons alors de guerre, de victimes de la guerre, des enfants de la guerre, des réparations, de la loi et des personnes coupables. Ces idées sont celles de tous ceux qui vivent sous l’occupation mais continuent d’espérer et d’attendre la libération.