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«Même à 99 ans la vie continue» interview avec fondateur de la maison de retrait à Kiev

Dans la banlieue proche de Kiev, une petite maison se cache parmi les arbres fleurissants. Il s’agit d’une maison de retraite privée où le gérant, Evgen Dmytrytchenko, fondateur de l’ONG «La vie continue,» a décidé de laisser tomber son travail pour se consacrer entièrement à cette  maison de retraite d’un nouveau type.  Il considère que sa mission n’est pas uniquement d’assurer des soins et un séjour de qualité pour ses hôtes âgés, mais aussi d’organiser des jeux et des loisirs afin que ces personnes puissent continuer à prendre du plaisir dans leur vie, malgré le fait qu’ils soient dans une maison de retraite.

Pour l’édition spéciale de l’UCMC «Les Ukrainiens qui rendent leur pays meilleur », Evgen a accepté de s’entretenir avec notre journaliste.

-Comment avez-vous eu l’idée de créer une organisation qui s’occupe des personnes âgées?

-Cette idée m’est venue l’année dernière quand mes parents ont voulu partir en vacances mais qu’ils ne pouvaient pas laisser ma grand-mère seule. Elle est très âgée, atteinte du diabète, et elle a besoin de soins constants; donc nous ne pouvions pas la laisser seule. Nous avons cherché un endroit pour pouvoir la laisser tout en étant sûrs qu’elle ne manquerait de rien et qu’elle aurait tous les soins nécessaires à sa santé. Nous avons fait le tour des maisons de retraite publiques, mais elles étaient toutes les unes plus épouvantables que les autres : des meubles délabrés, des cafards partout…Alors nous avons décidé d’élargir notre recherche aux maisons de retraite privées et nous avons fini par trouver ce que l’on voulait. C’est comme ça que j’ai compris que je devais fonder une maison de retraite selon ma vision, afin d’assurer une retraite digne aux personnes âgées.  Et c’est ainsi que notre association «La vie continue» a vu le jour.

– Qu’est-ce qui distingue la maison de retraite dont vous vous occupez des autres?

– Les personnes âgées ont bien entendu besoin d’être bien soignées, mais elles ont aussi besoin de se rendre compte que la vie n’est pas finie et que par conséquent elles peuvent encore prendre du plaisir et apprécier la vie. J’ai donc impliqué des bénévoles qui viennent les voir pour leur offrir des fleurs, prendre le thé et discuter avec elles. Il y a des filles coiffeuses qui viennent les coiffer gratuitement. Il y a des filles masseuses qui viennent les masser gratuitement. Toutes sont des bénévoles qui ont voulu apporter leur aide à ces personnes âgées. Une grand-mère qui vit chez nous a fêté ses 99 ans cette année. Pour son anniversaire, nous avons invité des chanteurs ukrainiens célèbres qui sont venus faire un concert gratuit et chanter des chansons populaires de l’époque de leur jeunesse.

Il est très important pour ces personnes de ne pas se sentir abandonnées.

-Est-ce difficile de trouver du monde qui souhaite s’investir dans votre mouvement?

-Non, pas vraiment. Ce sont plutôt des gens qui nous trouvent en tombant sur notre web site, ou qui entendent parler de nous par du bouche-à-l ‘oreille. Un jour, une jeune femme nous a téléphoné pour nous dire que sa patronne avait fêté son anniversaire le veille et qu’on lui avait offert beaucoup de fleurs; elle souhaitait donc les offrir aux habitantes de notre établissement.  Je lui ai répondu que ce serait avec plaisir, et quelques heures plus tard, une grosse voiture remplie de bouquets très chics est arrivée.

-À votre avis, pourquoi les gens préfèrent installer leurs proches dans des maisons de retraite plutôt que de s’en occuper? Cela ne vous choque-t-il pas?

-Non, car il y a des situations différentes et nous ne pouvons pas juger les gens sans avoir été à leur place. Certainement, il y a des personnes âgées qui sont parfaitement indépendantes et qui peuvent vivre seules, se contentant d’une visite par jour; mais Il y a d’autres personnes qui ne peuvent absolument pas rester seules.  Leurs proches ne peuvent pas être à leurs côtés 24 heures sur 24 car ils ont aussi une vie, un travail, une famille…À titre d’exemple, il y a quelques mois, on nous a amené une mamie très âgée qui avait passé 11 mois de suite sans sortir de chez elle. Elle vivait dans son appartement entre le lit, la télé et la cuisine, et elle devint du coup complétement asociale. Elle avait peur de sortir de chez elle. Une fois arrivée ici, elle a revécu. Elle sort se promener tous les jours et s’est faite des amis parmi ses voisins. La solitude est un état d’âme. On peut avoir une famille mais se sentir seul. Ici, on fait tout pour que nos hôtes ne se sentent pas seuls.

Je suis sûr que les personnes âgées avec des problèmes sont mieux chez nous que chez eux. Elles ne font souvent plus attention à leur régime alimentaire, mais ici, nous leurs préparons des plats diététiques et savoureux en fonction des besoins de chacun.

-Combien de fois par semaines venez-vous ici? Et en quoi consiste votre travail?

-Je viens ici tous les jours, à tel point que je ne considère plus cet endroit comme un travail, mais plutôt comme mon chez moi. Nous ne sommes que deux gérants ici et nous nous occupons de tout: les achats, l’administratif, l’organisation des fêtes, des événements etc. Il y a aussi trois aides-soignantes qui travaillent ici pour s’occuper de nos 16 hôtes. Il y a aussi un médecin généraliste et un psychiatre qui nous viennent en aide. Nous ne proposons pas de soins médicaux à nos hôtes, les médecins ne font que constater leur état de santé et c’est ensuite aux proches de prendre leurs décisions.

Comment avez-vous élaboré le concept de cette maison de retraite?

-Nous avons visité d’autres maisons de retraite et nous avons compris plus ou moins ce que nous voulions faire. Bien entendu, nous avons aussi regardé et étudié l’expérience européenne, canadienne et américaine. En Occident, quand les gens s’installent en maison de retraite, ils ont le droit d’emmener leurs meubles avec eux pour se sentir mieux et s’adapter plus vite à leur nouvel environnement. C’est une pratique que nous avons aussi mise en place ici.

-Vos hôtes n’ont-ils pas du mal à s’habituer et à s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie? Quels sont vos méthodes pour les aider à s’acclimater plus facilement?

-Ça dépend. La plupart s’adaptent en une semaine. Pour le moment, nous n’avons eu qu’une seule personne qui éprouvait de réelles difficultés à s’adapter; elle a mis un mois avant de se sentir bien ici. C’était une dame âgée du Donbass.

Quant au processus d’adaptation, c’est plutôt un travail du personnel et très individuel.  Nous essayons de faire en sorte que la personne soit impliquée dans les activités de notre établissement, et qu’elle ne reste pas seule. Après, nous ne pouvons pas non plus forcer ceux qui veulent rester seuls à s’investir.

-Est-ce qu’il y un planning strict dans votre établissement?

-Non. En fait, il n’y a que les repas qui ont lieu à une heure précise. Sinon, les habitants sont libres de faire ce qu’ils veulent. Il y a des jeux de société à leur disposition, ils peuvent se promener, regarder la télé…Il y a une télé dans le salon, mais aussi dans toutes les chambres, et il y a même une bibliothèque.

-Est-ce difficile moralement de gérer une maison de retraite? Vos hôtes ne sont-ils pas trop capricieux?

-Au début c’était difficile car on s’habitue aux gens. Malheureusement, nos hôtes nous quittent au bout d’un moment et j’avoue que c’est très difficile, mais je me dis que c’est la vie. Sont-ils capricieux? Ils sont très âgés, entre 80 et 99 ans, et certains sont aussi atteints de maladies importantes, notamment d’Alzheimer, et donc ils ne contrôlent plus vraiment leur comportement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons besoin du psychiatre. Mais j’ai l’habitude de travailler avec des gens compliqués car avant cela je m’occupais de personnes dépendantes à l’alcool et à la drogue. Mais je suis conscient que notre travail est apprécié et utile, et cela m’aide. La vielle dame dont je vous ai déjà parlé et dont nous avons fêté les 99 ans m’a dit après la fête : «Je n’ai jamais cru que l’on pouvait être si heureuse quand on est vieille ».  Cette phrase est une extraordinaire récompense pour moi!

-Les fêtes de fin d’année approchent, avez-vous prévu un programme pour les fêtes?

-Mais bien entendu! Quelqu’un viendra obligatoirement déguisé en Père Noel. Nous allons aussi décorer la maison, faire des cadeaux, faire un concert, faire un sapin… Mais il faut tenir compte de l’âge de nos habitants: le programme sera plutôt court—une à deux heures maximum—il est difficile pour eux de rester trop longtemps actifs.

-Quels sont vos projets d’avenir?

-Nous allons nous développer. Nous aimerions aussi que toutes les maisons de retraite se réunissent et organisent une sorte de coopérative afin de régler les problèmes qui émergent plus facilement et de manière plus effective. Nous aimerions rendre nos maisons de retraite plus accessibles aux gens, car ça reste tout de même couteux: il faut bien payer le chauffage, l’électricité, la nourriture. Nous essayons également de créer des places «sociales» chez nous afin d’ouvrir nos portes à des personnes ayant de plus faibles revenus. Là, nous ne pouvons accepter que deux personnes ayant ce profil et qui viendront après les fêtes de fin d’année, mais c’est déjà un bon début. Malheureusement, je pense qu’il est inutile de demander de l’aide de l’État, donc je préférerais qu’on s’allie à d’autres maisons de retraite pour pouvoir parvenir en aide au plus grand nombre de personnes possible.