Avdiyivka, Ukraine de l’Est: les facteurs clés qui expliquent la nouvelle escalade

Volodymyr Yermolenko, Tetyana Ogarkova, UkraineWorld group

La situation à Avdiyivka a commencé à se détériorer le 29 janvier. Avdiyivka est une ville qui se trouve sous le contrôle de l’armée ukrainienne, mais très près de la ligne de contact et à 6 km au nord de Donetsk. Selon les données officielles, depuis le début de l’escalade, 13 militaires ukrainiens ont été tués et 93 blessés. Il y a aussi des victimes parmi les civils : 8 personnes ont été tuées. Les bombardements intenses des séparatistes ont endommagé l’infrastructure d’Avdiyivka : la ville est resté sans eau, sans chauffage, sans électricité. Les Forces armées ukrainiennes ont répondu par les tirs sur Donetsk et ses banlieues. Plus tard, la situation s’est aggravée aussi près de Marioupol, Mariyinka, Opytne, Pisky, Popasna… L’OSCE a déclaré que le nombre des bombardements avait augmenté et que le nombre de violations du cessez-le-feu avait battu tous les records à l’intérieur du triangle Avdiyivka-Yasynouvata- aéroport de Donetsk à partir du 29 janvier. 

Nous avons essayé de réunir des raisons principales pour expliquer cette escalade.

Raisons globales

Les jeux militaires russes. Les forces armées russes et pro-russes ont provoqué la guerre dans le Donbass au printemps 2014 en réponse au succès des manifestations sur Maidan. Depuis ce moment, la Russie encourage le mouvement séparatiste dans le Donbass. Même une structure aussi prudente que la Cour pénale internationale a reconnu « l’existence d’un conflit armé international » à l’est de l’Ukraine, c’est-à-dire la présence russe. Cette présence a conduit à des sanctions que les États-Unis et l’Europe ont introduites contre la Russie. Cependant, la Russie s’obstine à croire que son intérêt à l’affaiblissement de l’État ukrainien par le maintien du conflit permanent à l’est du pays est plus important que les sanctions. Le Kremlin continue d’utiliser la situation dans le Donbass comme un levier de pression sur la politique intérieure ukrainienne pour épuiser les Ukrainiens, diviser l’opinion publique et affaiblir le pouvoir pro-occidental actuel.

Les Accords de Minsk sont remis à la question. Cette escalade s’est produite au moment où la confiance portée aux Accords de Minsk était la plus faible. Les Accords de Minsk n’ont jamais été très populaires en Ukraine (ils prévoient des amendements à la Constitution pour attribuer plus de pouvoir aux autorités locales et réaliser les élections locales dans le Donbass avant que l’Ukraine ne rétablisse son contrôle sur la frontière russo-ukrainienne), cependant la politique officielle ukrainienne est de respecter ces accords, mais en faisant passer la sécurité avant la politique. Pour les Russes, la situation est plus compliquée, car si le processus de Minsk s’avère improductif, la perspective de la levée des sanctions sera encore plus fantôme. Donc, Moscou préfère obtenir des conditions plus intéressantes. Cependant, l’expérience du passé (Minsk-1 en septembre 2014 et Minsk-2 en février 2015) prouve que la Russie et ses marionnettes provoquent délibérément une escalade avant les nouveaux accords (Ilovaysk avant Minsk-1 et Debaltseve avant Minsk-2) pour faire passer ses conditions, en utilisant comme d’habitude la méthode de « la paix forcée ».

Les négociations entre Trump et Poutine. La célèbre conversation téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine (le 28 janvier) n’a pas donné le résultat désiré pour le président russe (la levée des sanctions). L’escalade à l’est de l’Ukraine qui a eu lieu le lendemain sert d’alarme : la situation sur ce territoire reste entre mains de Poutine et il pourrait la rendre plus tendue si les sanctions ne sont pas levées.

Raisons locales

La guerre d’artillerie. L’aspect tragique de cette guerre est que cette guerre est surtout une guerre d’artillerie. Les Accords de Minsk exigent le retrait d’artillerie lourde à 30 km de la ligne de contact, mais cette exigence n’a jamais été respectée. Les événements à Avdiyivka sont cependant une escalade très importante, car il y a longtemps qu’un nombre aussi important d’armement lourd avait été utilisé.

Encore un aspect tragique de cette guerre : elle se déroule dans des quartiers résidentiels densément peuplés (voir la carte). À titre d’exemple, le bombardement d’Avdiyivka était effectué à partir des quartiers résidentiels de Donetsk (les habitants de cette ville ont partagé les vidéos des Grads se situant entre les immeubles), donc, il n’était pas possible de tirer en réponse sans abîmer ces immeubles. Lors des bombardements d’Avdiyivka, les séparatistes visaient délibérément les objets clés de l’infrastructure (les lignes de transmission, des viaducs etc.) et cela en hiver, quand les températures peuvent baisser jusqu’au –20°C.

Le cessez-le-feu hybride. Malgré les efforts des Accords de Minsk, le cessez-le-feu total ne s’est jamais installé : la « guerre hybride » a engendré un « cessez-le-feu » hybride. Les informations sur les affrontements locaux arrivaient pratiquement toutes les semaines. Entre outre, les événements à Avdiyivka ne sont pas le premier cas d’affrontements importants causant beaucoup de morts. À la fin décembre 2016, il y a eu lieu un affrontement sur l’arc de Svitlodarsk.

Les munitions russes. Les unités militaires russes et pro-russes utilisent les armes et les munitions qui arrivent par la frontière russo-ukrainienne. Cette partie de la frontière n’est pas contrôlée par l’Ukraine et la Russie ne permet à l’OSCE de surveiller que deux points de contrôle, en violant ainsi les Accords de Minsk. La capacité des séparatistes de maintenir ce conflit en utilisant l’armement lourd et les technologies modernes ne peut être expliquée que par l’arrivée permanente d’armes en provenance de Russie.

Les manœuvres de l’armée ukrainienne. Christopher Miller, correspondant de RFE/RL, note dans son reportage « que depuis la mi-décembre, les Forces armées de l’Ukraine ont avancé dans la zone grise en s’approchant des postions des séparatistes ». Cependant, le gouvernement ukrainien affirme que les Forces armées ukrainiennes n’ont pas violé les Accords de Minsk, car elles n’ont pas franchi la ligne de démarcation et se sont avancées uniquement dans le cadre du territoire, qui selon les Accords de Minsk, serait attribué à l’Ukraine. Il est à noter que les manœuvres des deux côtés et les affrontements avec les armes légères ont eu lieu tout le temps depuis la signature des Accords de Minsk.

La route stratégique de Donetsk à Horlivka. Le transport est un des facteurs clés de cette guerre. Avdiyivka est un endroit stratégique qui est le maillon faible de la ligne de défense des séparatistes. Certains experts militaires déclarent que le contrôle sur la route de Donetsk à Horlivka (qui passe par les banlieues d’Avdiyivka) est très important pour augmenter la capacité de la défense de l’Ukraine (voir la carte). Les nouvelles positions prises par l’armée ukrainienne se trouvent sur le territoire qui, selon les Accords de Minsk, appartient aux autorités ukrainiennes. Cependant, les séparatistes pro-russes estiment que ce territoire est une zone stratégique importante. Cela explique les tentatives des séparatistes d’attaquer les positions ukrainiennes et l’utilisation de l’armement lourd pour repousser l’armée ukrainienne.

Le rôle d’Achmetov. Rinat Achmetov est l’un des plus puissants oligarques ukrainiens, le « maître du Donbass » qui garde des intérêts financiers des deux côtés de la ligne de démarcation. Rinat Achmetov possède des mines de charbon sur les territoires contrôlés par les séparatistes, des usines métallurgiques et des centrales électriques sur les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien. Il possède aussi la cokerie d’Avdiyivka qui est très importante pour toute l’industrie métallurgique de l’Ukraine. Parallèlement, les gens d’Achmetov sont présents dans l’administration de la prétendue République de Donetsk. Ainsi, Achmetov pourrait jouer un rôle de médiateur dans les accords conclus par la ligne de démarcation, mais aussi être une cible pour ceux qui le considèrent comme un obstacle.

Volodymyr Yermolenko est un expert de « Internews-Ukraine » et de « UkraineWorld group », initiative dédiée à l’Ukraine et à la lutte contre la désinformation. Tetyana Ogarkova est une chef du département des relations internationales de l’Ukraine Crisis Média Center. Les auteurs expriment leur gratitude à Alya Shandra, Olexandre Souchko, Evgen Bystritsky, Dmytro Choulga, Dariya Gayday, Roman Vybranovsky et les autres membres du UkraineWorld group. Si vous souhaitez rejoindre UkraineWorld group, écrivez-nous [email protected].

photo: Politeka