Une exposition organisée par Mathieu Radoubé, un journaliste et photographe français, a ouvert ses portes hier dans le bâtiment du Conseil régional de Kiev. Présent depuis 2013 en Ukraine, Mathieu Radoubé vit dorénavant à Kiev, mais voyage régulièrement dans la zone de conflit à l’est de l’Ukraine pour son travail. Il en profite pour illustrer l’intime, les émotions, les histoires et les personnalités de ceux qui se sont retrouvés mélés au conflit. Malgré son emploi du temps bien chargé, il a accepté de parler de ses projets à l’Ukraine Crisis Média Center.
- Pourriez-vous nous parler d’avantager de vous et de vos projets s’il vous plait?
Je suis un photo-journaliste free-lance basé en Ukraine pour suivre le conflit depuis presque un an et demi. Avant cela, j’étudiais les identités nationales en Europe de l’Est. A l’époque du Maïdan et durant les premiers mois du conflit, je vivais en Moldavie, pour mes recherches. Je suis donc venu plusieurs fois en Ukraine afin d’essayer de comprendre la situation. J’avais avec moi un appareil photo. Plus pour illustrer mes recherches que capturer vraiment le conflit. Mais je me suis pris de passion pour cette manière de travailler et ai décidé de m’y consacrer entièrement.
Ayant une formation géopolitique, être dans le conflit me permet d’avoir un regard à la fois sur le contexte local, sur le particularisme des personnes et des situations, et sur l’ensemble du conflit. Mon projet photographique est l’inverse de mon projet universitaire ou journalistique. Il est d’illustrer, de capturer non un tout, mais un ensemble de particularités, de vies, d’Histoires. Je veux me concentrer sur ceux qui vivent dans la guerre en tant que personnes, et oublier toute notion de géopolitique.
- Comment avez-vous l’idée de faire cette exposition? Pourquoi avez-vous décidé de combiner les photos de la guerre en Ukraine et celle en Irak?
Cette idée m’a été soufflé par une amie journaliste ukrainienne, persuadée qu’il fallait rendre plus visible les êtres humains, les mettre en valeur pour sortir de la morosité des images habituelles de la guerre. De mon côté, après avoir couvert les premiers temps de la bataille de Mossoul à l’automne dernier, je me suis rendu compte que si j’allais au bout de mon travail et me coupait complètement du contexte géopolitique pour prendre mes photos, il n’y avait aucune différences entre l’humain ici et l’humain là-bas. Cela s’est donc fait un peu comme une évidence. Métisser l’exposition, les personnes, pour ne faire exister que leurs émotions, aucun message politique. Pour que l’exposition elle-même ne soit pas ce que j’essaye d’éviter dans mon travail : stigmatiser un camp ou une idéologie.
- Quels sont vos photos préférées et pourquoi?
Je serai tenté de dire toutes, pour voir le verre à moitié plein! Ou aucune s’il est à moitié vide … J’aime l’ensemble de ces clichés. Mon projet, ce sont trois actes de 12 photos. Sur plusieurs centaines. Il y en a beaucoup d’autres que j’aimais mais j’ai dû choisir. Il y en a cependant quatre que j’aime particulièrement. La photo présente sur l’affiche, parce qu’elle correspond vraiment à ce qu’est le conflit de manière générale. Le stress, le paysage désolé, l’attente et une forme d’espoir. L’enfant jouant et heureux aussi qui ne vient pas du Dombass mais montre que dans un pays en guerre il n’y a pas que la lourdeur du conflit. J’aime beaucoup, par opposition le clichés de trois jeunes filles en habits de lumières, pris à Avdiivka pendant un spectacle pour des personnes handicapé. Il montre la continuité de la vie quotidienne dans une ville à un kilomètre du front. Ce qui était exceptionnel dans ce moment c’est que nous étions en périphérie de la ville, dans l’un des derniers bâtiments. Après cela, quelques centaines de mètres plus loin, c’est la vraie guerre. Et durant tout le spectacle, il suffisait de sortir de la salle pour entendre les tirs d’armes légères et les bombardements tout proches. Je suis resté un long moment à la porte, ouverte, pour saisir l’absurdité et le paradoxe de la situation. D’une oreille, je percevais la musique du spectacle, les rires, les applaudissements, de l’autre, j’avais l’impression d’être dans une rave partie! Des sons lourds, des vibrations, la répétitions des tirs de kalashnikov. Absurde mais émotionnellement chargé. Et tout le monde avait l’air de trouver ça normal sauf mon collègue et moi, plus habitués à séparer l’un et l’autre.
Enfin, parce que je commence à être long! La photo de réfugiés chrétiens dans un camp à Erbil, en Irak. Ces personnes étaient déplacés depuis deux ans et demi et leur camp avait tout d’une ville à part entière. Magasins, coiffeurs … et café. Ils s’étaient organisés parce qu’ils n’avaient plus rien. Et leur statut ne leur permettait pas de s’insérer au Kurdistan Irakien. Ils ne pouvaient pas réellement travailler. J’y suis allé deux jours après avoir fait un reportage dans les villages qu’ils avaient fui devant l’arrivée de Daesh. Je travaillais avec les forces spéciales irakiennes qui libéraient et « nettoyaient » ces villages. En allant au camp, je pensais trouver de la joie, de l’espoir. Celui de pouvoir bientôt repartir chez soi. Et pourtant, aucun n’y croyait, aucun ne savait réellement ce qu’ils voulaient faire. Je me suis assis dans ce café et ai discuter avec certains d’entre eux. Ils se demandaient si ces terres étaient au final encore à eux après tout ce temps, tout en ne se sentant pas chez eux ici. Le café, c’était leur seul lieu, temporaire.
- En tant qu’un photographe qu’avez vous envie de communiquer par vos photos?
Faire en sorte de briser le récit, de ne pas apporter de fil rouge. Chaque cliché devait être unique et n’être relié à aucun autre puisque le maître mot de l’exposition, c’est le singulier, l’unique. L’Humain. Il y a cependant plusieurs photos de soldats géorgiens, pour ce qu’ils représentent. Des Hommes se battant hors de leur frontières pour défendre un territoire, et non l’attaquer, qui n’est pas le leur. C’était important parce qu’ils représentent vraiment l’idée d’hommes perdus, hors de leurs repères, seuls, malgré leur nombre.
J’ai envie de communiquer cela par mes photos. Pas de récit, pas d’histoire. Raconter 12 vies ou moments pour chaque personne qui se trouvera en face. Les légendes sont aussi sobres que possible. J’ai envie de communiquer des émotions, des sentiments. Faire comprendre aux visiteurs que la guerre n’est pas une question de lignes, de théories, de relations internationales. C’est avant tout une question d’Humains. Et j’ai envie que les visiteurs communiquent par eux-mêmes avec les photos. Ne pas les emmener dans un récit, c’est leur laisser la chance de se faire leur propre histoire.
- Quelle est ou sont les différences entre la guerre en Irak et la guerre en Ukraine du point de vue d’un photographe?
Techniquement? Rien n’est pareil. Soleil, couleurs. En poétisant un peu, les odeurs et les sensations non plus. Tout change. La langue, la manière de travailler avec les soldats, d’interagir avec les civils parce que les cultures ne sont pas les mêmes.
Humainement, rien. Le photographe se retrouve toujours face à un sujet qu’il a décidé de couvrir, que ce soit la guerre elle-même ou ceux qui la font. Un tir reste un tir, un bombardement reste un bombardement. Un être humain reste un être humain. Et c’est plutôt entre chaque photo qu’il y a des différences, pas entre des lieux.
Par contre, la réelle différence, c’est le stress. Je connais le conflit en Ukraine. J’y vis. J’apprends la langue. Je suis dans mon élément d’une certaine manière. Et même si j’ai quelque fois été en danger, je ne m’y sens pas. C’était des erreurs, de ma part ou d’autres, des confrontations avec des franc-tireurs. Je sais qu’en tant que photographe, si je m’équipe et me rends visible en tant que tel, je ne devrais pas être pris directement à partie. Là-bas c’était l’inverse. En tant que photographe, j’étais une cible. La ligne de front est une limite. Il y a un camp avec qui être et un camp duquel il ne faut surtout pas s’approcher.
- Quels sont vos projets pour l’avenir?
Je vais continuer ce projet. Le troisième acte, plus sombre, sur les actions humaines dans la guerre, est en préparation. A côté de cela je continue à prendre des photos et monter des projets dans le Donbass, à collaborer avec des médias quand l’occasion se présente, en tant que photographe ou journaliste. C’est selon. Je suis toujours ouvert aux propositions. Plus je peux diversifier mes reportages, plus je peux enrichir mes connaissances et mes expositions.