La réforme juridique en Ukraine. Les défauts et les avantages

Voilà deux ans que Petro Porochenko promet de mettre en route une réforme juridique. Aujourd’hui, il s’approche de cet objectif, car le parlement ukrainien a enfin adopté avec 335 voix les amendements à la Constitution et à la loi de profil sur le statut des juges et des tribunaux pour construire un nouveau système juridique en Ukraine. 

Les amendements à la Constitution entreront en vigueur dans 3 mois, soit au début de mois de septembre. Quelles seront les conséquences de ces amendements et quels sont les dangers? L’édition de LIGA.NET a posé des questions aux experts. L’UCMC publie une version courte de l’article.

Les avantages de la réforme

Les chances de renouveler le système juridique. Deux premières tentatives de renouveler le système juridique : la loi sur la purification du pouvoir juridique et la loi sur la lustration, n’ont pas marché. En fait, le système est resté dans la forme qui existait sous Ianoukovitch.

«Les possibilités de renouvellement du système juridique sont en train d’être créées. Contrairement à la loi existante, selon laquelle les juges n’ayant pas réussi leur évaluation de qualification sont renvoyés à l’école des juges, désormais, ils seront tout de suite licenciés. Si un juge n’arrive pas à justifier la légitimité de ses biens, il sera aussi licencié», a expliqué Roman Kouybida, expert du Centre des réformes politiques et juridiques dans les commentaires pour LIGA.NET.

La création de la Cour suprême à partir de zéro. Cette cour sera la plus haute autorité dans le système judiciaire du pays. Il est prévu qu’elle sera composée de 200 juges au maximum, soit deux fois moins que dans les cours de l’instance de cassation et la Cour Suprême actuelles. «Ceci est un gros avantage, une opportunité importante. Pour remplacer les cours d’instance dont le fonctionnement est loin d’être satisfaisant, la seule Cour suprême sera créée de zéro. Les anciens juges et les spécialistes des autres domaines juridiques pourront déposer leurs candidatures pour y travailler»,  raconté Mychaylo Jernakov, expert de la réforme juridique du Paquet des réformes d’urgence à LIGA.NET.

Les juges devront déclarer leurs familles. Les experts espèrent que cette innovation permettra  de découvrir et de mettre un terme aux activités des clans judiciaires en Ukraine. Désormais, tous les juges seront tenus de déclarer leurs liens familiaux avec les personnes qui travaillent dans le système judiciaire, le bureau du procureur, les professions juridiques et au service du gouvernement à des postes élevés.

Le dossier public sur les juges et l’augmentation du contrôle. Les documents électroniques et dossiers sur les juges seront publiés sur le site officiel de la Haute Commission de qualification des juges, ainsi que les conclusions du Conseil public de la vertu. «Cela permettra d’apprendre le maximum sur un juge», estime Kouybida.

L’augmentation des salaires des juges. La loi fixe le salaire des juges : un salaire égal à 30 salaires minimaux pour les juges régionaux, à 50 salaires minimaux pour les juges des cours d’appel et un salaire égal à 75 salaires minimaux  pour les juges de la Cour Suprême. Selon Viktor Pynsenyk, le salaire d’un juge de la Cour Suprême pourrait atteindre 120 000 UAH (4 000 euros) par mois. Avec les primes, cela pourrait aller jusqu’au 315 000 UAH (10 000 euros) par mois. Les experts estiment que cela aidera à minimiser les risques de corruption.

Les risques et les menaces

Le retard dans la création du Tribunal anti-corruption. Selon les interlocuteurs de LIGA.NET, ce tribunal ne sera chargé que d’une seule chose : il examinera les dossiers préparés par les enquêteurs de l’Agence national de la lutte contre la corruption.

La loi prévoit la création du Tribunal anti-corruption, mais ni les délais, ni les pouvoirs de cet organisme ne sont encore clairement désignés. Le Centre de la lutte contre la corruption a organisé une manifestation devant le parlement pour exiger de mettre immédiatement en route le Tribunal anti-corruption, mais sans aucun résultat.  Le Centre considère cette situation comme une tentative de retarder le processus.

Le sabotage de l’influence publique. La loi prévoit la création d’un Conseil public de la vertu qui sera en mesure de présenter ses conclusions lors de l’évaluation de la qualification d’un juge ou d’un candidat pour le poste de juge. Ces conclusions entreront dans le dossier judiciaire. Cependant, le rôle réel du Conseil est nivelé par la législation. Le Conseil des juges n’est pas obligé de prendre en compte l’avis du Conseil public de la vertu, et n’est pas obligé de le commenter.

Les risques des lois absentes. Le parlement n’a voté que des amendements à la Constitution et une seule loi sur le statut des juges et des tribunaux. La Cour Suprême devrait se mettre à fonctionner dans les conditions de la nouvelle législation, mais elle n’a pas encore été examinée par le parlement. Toutes les questions liées à la responsabilité disciplinaire des juges seront résolues par le Conseil suprême de la justice, mais la loi concernant ce Conseil, n’a pas non plus été votée. La situation est la même pour le Tribunal anti-corruption. Selon Roman Kouybida, si ces lois ne sont pas adoptées par le Parlement, plusieurs amendements constitutionnels seront tout simplement suspendus.


Vers où la réforme juridique se dirige-t-elle? Les amendements votés le 2 juin ne sont que la feuille de route. La réforme du Bureau de Procureur prouve que les déclarations ne sont pas suffisantes et toutes les innovations peuvent en réalité être déformées. «Tout cela ne sont que des opportunités. Aucun résultat n’est garanti et cela est bien intéressant», explique Mychaylo Jernakov.

Le pouvoir juridique actuel en Ukraine est enfermé dans un schéma complexe de liens claniques, de pratiques de corruption, d’influences et de transactions politiques. Est-ce que l’équipe de Porochenko arrivera à changer ce système et, surtout, est-ce qu’elle le souhaite ? Cela sera clair dans trois mois.