Au cours des deux dernières semaines, l’Ukraine a été secouée par un scandale qui a indigné la communauté des journalistes dans le pays et à l’étranger. Le bureau du procureur général a eu accès aux données des téléphones portables d’au moins deux journalistes par l’intermédiaire de la justice. Lisez les détails de l’histoire dans le texte de l’UCMC.
Comment tout a commencé.
Il y a deux semaines s’est produit un précédent préjudiciable à la liberté de parole en Ukraine : les enquêteurs du Bureau du procureur général de l’Ukraine ont eu accès aux données des téléphones portables d’au moins deux journalistes : Natalia Sedletska de l’émission « Schémas » et Kristina Berdynskykh du magazine « Novoe Vremya ». Le 4 septembre, la société ukrainienne a appris que le tribunal avait autorisé le Bureau du procureur général à accéder aux informations du téléphone de Natalia Sedletska pendant les 17 mois à venir. Le lendemain, Kristina Berdynskykh a déclaré que le Bureau du procureur s’en prenait à elle.
« Le fait que mon téléphone soit mis sur écoute, je l’ai appris par un commentaire sur Facebook, et pas par un document. Je n’ai reçu la confirmation officielle que mon téléphone était mis sur écoute que lors du forum YES le 16 septembre par le procureur général, et lundi nous avons fait appel », écrit Kristina Berdynskykh sur sa page Facebook.
Pourquoi ces journalistes-là ?
Actuellement, le Bureau du procureur enquête sur une affaire contre Artyom Sytnik, directeur du Bureau national anticorruption et opposant du procureur général Yuriy Lutsenko.
Il y a plus d’un an, Sytnik aurait communiqué à certains journalistes, lors d’une réunion informelle, certaines des données d’une enquête en cours, violant ainsi la loi. Cela fait également l’objet d’une enquête par le Bureau du procureur.
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Les journalistes qui auraient été présents à cette réunion ont refusé d’en raconter les détails aux enquêteurs. Selon la loi ukrainienne, ils en ont le droit : indépendamment du fait que Sytnik aurait violé la loi, les journalistes peuvent et doivent protéger leurs sources d’information.
Selon la législation ukrainienne, un journaliste ne peut être interrogé en tant que témoin lorsqu’il s’agit d’informations qu’il a reçues de sa source sous la condition de non-divulgation (il s’agit de la Constitution de l’Ukraine, article 65, paragraphe 2, article 6). Autrement dit, les deux journalistes ont le droit de refuser de témoigner.
La cour d’appel limite l’accès aux données.La cour d’appel de Kyiv a satisfait partiellement à la plainte de Natalia Sedletska et a annulé la décision de la cour de Petchersk à Kyiv sur l’accès aux données de son téléphone mobile durant les derniers 18 mois. Le tribunal a rendu une nouvelle décision, qui a limité la liste des données que peuvent obtenir les enquêteurs du portable de la journaliste. En particulier, l’opérateur mobile devait fournir la date, l’heure et le lieu de localisation du téléphone de Sedletska depuis 17 mois à proximité des stations de base près du bâtiment de l’Agence nationale de lutte contre la corruption de l’Ukraine à Kyiv. « La Cour d’appel a reconnu que le Bureau de procureur avait vraiment exigé une quantité excessive de données de mon téléphone et celui de Kristina Berdynskykh. D’une part du procureur, c’est un bon signe et montre que ce n’est pas pour rien que le risque de la divulgation de sources de journalistes a provoqué une réaction aussi aiguë de la société. En même temps, le juge a tout de même permis au Bureau du procureur de retirer des informations de nos données mobiles, bien que dans un volume restreint. Ceci est, en fait, la surveillance des journalistes », a-t-elle déclaré. Selon la journaliste, les contacts et les appels faits dans des endroits précis à Kyiv permettront aux enquêteurs de récupérer ses trajets et son cercle d’amis durant cette période.
Dans le même temps, la cour d’appel de Kyiv a reporté au 26 septembre l’examen de la plainte de la journaliste du magazine « Nove Vremya » Kristina Berdynskykh concernant l’accès des procureurs aux données de son téléphone. En outre, le juge a expliqué cette décision par le fait que le procureur n’était pas présent dans la salle d’audience et que le dossier n’avait pas été transféré de la Cour d’appel du district de Petchersk à la Cour d’appel de Solomyansk. Ainsi, jusqu’au 26 septembre, les procureurs peuvent facilement obtenir toutes les informations dont ils ont besoin sur le téléphone de la journaliste.
La Cour européenne des droits de l’homme. Lorsque le Bureau du procureur a finalement eu accès aux données des téléphones (géolocalisation, journaux d’appels et SMS) auprès du tribunal, Sedletska a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 18 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné aux autorités ukrainiennes de s’abstenir d’accéder aux données d’un opérateur de téléphonie mobile provenant du portable de la journaliste. Ces mesures d’urgence temporaires sont en place jusqu’au 18 octobre, alors que Radio Svoboda, où Sedletska travaille en tant que rédactrice en chef du programme d’investigation « Schémas », préparera une plainte complète devant la Cour européenne de justice.
La réaction des collègues et des organisations internationales. En signe de solidarité avec Kristina Berdynskykh et Natalia Sedletska, plusieurs journalistes ukrainiens et organisations de la protection des médias ont diffusé une déclaration conjointe. Parmi eux se trouvent le Centre de lutte contre la corruption, l’Institut des médias, l’Institut régional de développement de la presse, l’organisation Media Detector, les principaux rédacteurs des sites Novoe Vremya.ua (Julia McGuffy) et Ukrainska Pravda (Sevgil Musayeva), au total une cinquantaine de signatures figurent en bas de la déclaration.
La déclaration note que la décision du tribunal crée un « précédent dangereux » pour les activités des médias ukrainiens et viole les obligations internationales de l’Ukraine. « Cela crée des conditions dans lesquelles il est extrêmement difficile pour les journalistes d’exercer leurs fonctions professionnelles et de protéger leurs sources d’information, qui sont garanties en Ukraine par la loi », insistent les auteurs de la déclaration.
Suivi de l’ingérence dans les activités professionnelles des journalistes en Ukraine.Depuis le début de l’année, l’Institut des médias a recensé 67 cas d’entraves aux activités professionnelles légitimes des journalistes, 24 cas de menaces, 22 cas de passages à tabac de journalistes et 12 cas de restriction de l’accès à l’information. Au total, ça fait 125 violations en 8 mois. En 2017, l’Institut a enregistré 281 violations de la liberté d’expression, légèrement plus que l’an dernier (264 cas en 2016, 310 en 2015, 995 en 2014). Telles sont les données du « Baromètre de la liberté d’expression » annuel de l’Institut des médias.
Donc, malgré tout, la tendance sur la période 2014-2018 reste plutôt positive.