Renouvelement politique du pays: opportunités et risques clés

Le 21 juillet 2019, des élections parlementaires ont eu lieu en Ukraine. Elles sont évidemment devenues un événement historique: non seulement le parti du nouveau président, Volodymyr Zelensky, a remporté ces élections,.mais il les a remportées avec une énorme avance sur les autres forces politiques. Au total, 253 sièges du Parlement sur 450 seront occupés par les représentants du parti «Serviteur du peuple», ce qui permettra au parti de former une majorité sans avoir à chercher une coalition avec d’autres forces politiques. Le Parlement doté d’une coalition monopolistique pourra mettre en place un nouveau gouvernement.

Qu’est-ce que ce redémarrage politique signifie pour le pays? Quels sont les principaux risques et opportunités du plus grand renouvellement politique dans l’histoire du pays? Voilà le thème de l’article  de l’UCMC.

Nouvelle éclosion d’espoirs et risques d’une nouvelle chute
Après les élections législatives, la rotation des élites politiques est devenue un fait réalisable. Les “ascenseurs sociaux” ont commencé à fonctionner et la victoire a été remportée par le parti virtuel, principalement grâce à la marque personnelle du nouveau président Zelensky.

Dans d’autres circonstances, jamais autant de “visages nouveaux”, généralement jeunes, n’auraient pu devenir députés sans avoir ni ressources, ni expérience.

Le parlement actuel comptera un nombre record de nouveaux arrivants en politique. Selon les résultats préliminaires, ils formeront environ 75% de l’ensemble des députés de la Verkhovna Rada de la 9ème convocation. Les nouveaux visages peuvent toujours être un gage de solutions véritablement nouvelles et d’une politique nouvelle. Mais le manque d’expérience et de compétence peut faire stagner le changement.

Le nombre de femmes au pouvoir a également augmenté. Le nouveau parlement est plus équilibré que le précédent. Si la Verkhovna Rada de la convocation précédente était composée de 12% de femmes, cette fois le nombre de femmes à la Rada atteint déjà 20,5%. C’est extrêmement faible comparé aux pays européens, mais la dynamique est positive.

La société ukrainienne attend un changement rapide et efficace. Selon les recherches du «Fonds des Initiatives démocratiques Ilko Koutcheriv» aujourd’hui, la plupart des Ukrainiens estiment que les événements en Ukraine évoluent dans le bon sens: au total, 41% des Ukrainiens y croient, contre 35,5% de ceux qui considèrent que l’orientation prise par le pays est erronée. Il y a six mois, en décembre 2018, seuls 18% des citoyens étant confiant dans le bon développement du pays et 70% estimaient que la direction du développement était mauvaise. Au cours des 15 dernières années, cet indicateur de la “bonne direction” a été une seule fois supérieur à celui d’aujourd’hui: 51% des Ukrainiens ont estimé que le pays évoluait dans la bonne direction après l’élection de Viktor Youshchenko à la présidence.

Dans le même temps, il est évident que les attentes excessives comportent des risques de déceptions profondes. La consolidation sans précédent du pouvoir et les opportunités concentrées entre les mains d’une seule force politique, et en fait d’une personne, peuvent être une occasion historique pour le pays de faire un pas en avant significatif.

Mais si cette fois, en raison d’incompétence, de conflits d’intérêts, de l’influence des oligarques, de l’agression de la Russie ou d’une combinaison de ces facteurs, il n’était pas possible de réaliser rapidement des changements qualitatifs et significatifs, cela entraînera une déception énorme pour la société, un mépris total et la confirmation de la thèse russe sur l’Ukraine en tant que «failed state».

Désoligarquisation ou possibilité d’une nouvelle redistribution de la propriété?
Une autre possibilité de situation politique nouvelle consiste à réduire l’influence des oligarques sur la vie politique du pays. Un fait historique en particulier: le plus grand oligarque, Rinat Akhmetov, n’aura plus de «faction» au Parlement. Comme d’habitude, il a misé sur ses partis «Bloc d’opposition» et «Parti radical», mais cela n’a pas marché. Les deux partis n’ont pas réussi à franchir la barre des 5% et sont restés en dehors des murs du Parlement.

Dans le même temps, la diminution de l’influence d’Akhmetov ne signifie néanmoins pas une victoire finale sur les oligarques. Rinat Akhmetov, bien sûr, va essayer d’influencer la Rada. «L’influence d’Akhmetov est en train de diminuer: il n’aura pas de faction. Il aura juste quelques députés du scrutin majoritaire. Cependant Rinat Akhmetov va vouloir compenser en cherchant des représentants dans d’autres factions et dans l’équipe de Zelensky. Il me semble qu’il a déjà commencé à construire ce type de ponts», estime Volodymyr Fesenko, politologue.

De plus, les positions des autres oligarques restent puissantes. Kolomoisky lié au «Serviteur du Peuple» devient l’oligarque le plus influent du pays; Pinchouk aura une influence sur la plus petite faction du nouveau parlement «Holos», Lyovotchkina aura la «Plate-forme d’opposition – Pour la vie», le mandat personnel et le soutien du Kremlin. Et enfin, Petro Porochenko, deviendra bientôt le principal opposant de Volodymyr Zelensky.

Lutte contre la corruption, recherche d’ennemis internes et persécution politique
La lutte contre la corruption a été l’un des principaux problèmes de la société ukrainienne depuis la Révolution de la Dignité, car le gouvernement précédent n’a pas été en mesure de changer systématiquement la situation.

Par conséquent, le principal leitmotiv des promesses électorales du nouveau président de l’Ukraine a été la lutte contre les corrompus. Après les élections et la victoire aux élections législatives, il s’agit précisément d’avoir une action efficace pour lutter contre la corruption, car ce sera la garantie d’une bonne notation personnelle pour Zelensky, ainsi que du soutien du nouveau gouvernement et du nouveau parlement par la communauté.

Entre les élections présidentielles et les élections parlementaires, Volodymyr Zelensky a inauguré la pratique des voyages dans les régions où il a organisé des «démasquages» démonstratifs, devant les caméras, de fonctionnaires corrompus: ces sorties dans le style d’Alexandre Loukachenko, le président du Belarus, ont contribué à augmenter le taux de popularité du parti «Serviteur du peuple» avant les élections.

Parallèlement, le 18 juillet 2019, Volodymyr Zelensky a convoqué une réunion du Conseil national de la politique anti-corruption, qui comprend des membres des organes de lutte contre la corruption ( Bureau national de la lutte contre la corruption, Bureau du procureur anti-corruption, Bureau des enquêtes préliminaires de l’État) et des forces de l’ordre, ainsi que des représentants d’ONG et des membres du comité de profil de la Verkhovna Rada. Et le 24 juillet a eu lieu la conférence «Une nouvelle stratégie anti-corruption pour l’Ukraine: comment devrait-elle être?».

La Cour anticorruption devra fonctionner dès septembre 2019 et un grand nombre d’affaires déjà examinées par le Bureau national de la lutte contre la corruption et le Bureau du procureur anti-corruption seront éventuellement réexaminées par ce tribunal.

Dans le même temps, le ton des déclarations de Volodymyr Zelensky lui-même et de son entourage, y compris du chef du bureau du président, Andrii Bohdan, et de son adjoint, Ruslan Riaboshapka (qui deviendra probablement procureur général), est un ton direct et accusateur. Lors de la réunion de la radio nationale, Andrii Bohdan a insisté sur la limitation des droits des avocats et sur «le désir de l’État de punir».

Mais la justice n’est pas un instrument punitif, malgré le fait que le nouveau gouvernement cherche manifestement à promouvoir un examen rapide des affaires et des «mises en prison» rapides. Avec le projet de la scandaleuse «loi sur la lustration» , déposée par le Président Zelensky auprès de la Verkhovna Rada précédente, tout cela met la pression sur la Cour anticorruption, qui n’a même pas encore commencé à fonctionner. La pression est double, sociale et politique, et il est très facile de perdre de vue l’importance des droits de l’homme, de la nature contradictoire d’un procès et le respect des procédures.

La consolidation du pouvoir entre les mains d’une seule personne et l’efficacité du «supplice public pour la corruption» en tant qu’outil permettant de maintenir sa propre popularité peuvent transformer la vie politique du pays en une «chasse aux sorcières». Se concentrer sur la recherche d’un «ennemi interne» fera oublier le véritable ennemi: l’ennemi externe à la frontière orientale de l’Ukraine.