Les 18, 19 et 20 février, l’Ukraine se souvient des trois jours les plus difficiles de la confrontation sur la place Maidan. C’est alors que les manifestants de ce qu’on a appelé par la suite la «Centurie céleste» ont été tués. La veille de chaque anniversaire, les médias ukrainiens s’entretiennent avec Serhii Horbatiuk, chef du département des enquêtes spéciales du Bureau du procureur de l’Ukraine, un département qui enquête sur l’affaire Maidan. À la veille du 5ème anniversaire du massacre, Serhii Horbatiuk, dans une interview exclusive accordée à TVI, parle de ce que l’on sait aujourd’hui, ainsi que des personnes qui tentent de s’ingérer dans l’enquête et les procès pour les crimes commis sur le Maidan. Les principales thèses de cet entretien sont dans le matériel de l’UCMC.
Victimes de Maidan: ce qu’il faut savoir sur l’avancée de l’enquête
L’une des questions, qui intéresse toute la société ukrainienne et tous les partenaires internationaux de l’Ukraine, est de savoir si c’est Victor Yanoukovytch qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants. Le procès de Yanoukovytch s’est achevé récemment: il a été déclaré coupable de trahison et condamné par contumace à 13 ans d’emprisonnement. Mais la preuve de son implication personnelle dans la fusillade sur le Maidan ne figure pas dans l’affaire.
Lors de sa récente conférence de presse à Moscou, Victor Yanoukovytch a de nouveau déclaré que tous les bâtiments sur lesquels se trouvaient les tireurs d’élite étaient selon lui contrôlés par «l’opposition». Il maintient cette ligne même après le verdict et refuse de reconnaître qu’il a ordonné de tirer.
«Il a le statut de suspect dans l’organisation des meurtres. Cela nous porte à faire preuve d’un certain scepticisme concernant son témoignage. Parce que s’il avait la preuve de son innocence, il viendrait en Ukraine pour se défendre», a déclaré Serhii Horbatiuk.
«Le point important qui caractérise son désir de coopérer est qu’en novembre 2016, il avait été interrogé par le tribunal de district de Sviatoshinsky en tant que témoin dans l’affaire des cinq anciens policiers des forces anti-émeute «Berkut» présents le 20 février 2014. (…) Après avoir témoigné, il a ensuite déclaré, également lors d’une conférence de presse, que les suspicions n’étaient pas fondées sur des circonstances réelles et avaient été truquées. Et qu’il en aurait des preuves: les voici, trois volumes, le quatrième volume est en fait prêt, et il fournira immédiatement ces documents à l’enquête. Depuis lors, plus de deux ans ont passé (…)», explique Horbatiuk, et Yanoukovytch n’a jamais fourni aucune preuve.
En outre il est très difficile de prouver sa culpabilité, car ceux à qui Yanoukovytch a ordonné de tirer se trouvent également en Russie.
«Il est impossible de les interroger. Mais un ensemble de preuves indirectes est disponible- des rapports et les appels qui ont été passés au cours de ces événements (des communications à la fois sur des téléphones fixes de bureau et sur des mobiles), et aussi une absence de réaction. Autrement dit, si le président n’avait pas donné de tels ordres, il aurait dû, en un mot, «démolir» les agents des forces anti-émeute pour ce qu’ils faisaient sur la place Maidan. Et il avait tous les pouvoirs pour réagir rapidement. Tous ces faits permettent de penser que Yanoukovytch est le responsable de ces meurtres. Il s’agit d’un soupçon. Une affirmation ne peut être faite que lorsque le tribunal dit: «Oui, vous, les enquêteurs, les procureurs, vous avez prouvé que c’est exactement ça».
Un grand nombre de ceux qui ont tué les manifestants les 18 et 20 février 2014, se sont enfuis en Russie depuis longtemps. Peuvent-ils être traduits en justice? Serhii Horbatiuk donne cette réponse:
«Au total, 106 personnes sont recherchées. En ce qui concerne les accusés, nous avons des données montrant qu’ils se sont réfugiés en Russie. Mais ce ne sont pas des données officielles, car le bureau du procureur général de la Fédération de Russie, auquel nous adressons des demandes d’extradition, refuse de les extrader».
Le département de Horbatiuk n’arrive pas à recevoir de réponses de la partie russe.
«Nous envoyons des requêtes disant que, si vous ne voulez pas les extrader, au moins délivrez-leur des suspicions et interrogez les afin qu’ils témoignent sur les crimes qui leur sont imputés. La Russie refuse, alors nous envoyons une nouvelle demande pour expliquer que nous le faisons afin de garantir les droits des suspects. Une personne doit savoir qu’elle fait l’objet d’une enquête pour tel motif. Nous avons envoyé des demandes à trois reprises, chaque fois nous avons en retour la mention: «Cela nuit à la sécurité nationale».
Selon le rapport de Horbatiuk, environ trois douzaines de responsables de la loi, soupçonnés d’avoir commis des crimes sur le Maidan, travaillent toujours dans le système de maintien de l’ordre, dont une dizaine à des postes de responsabilité. Pourquoi n’y a-t-il pas d’enquêtes? C’est la question qui inquiète non seulement les familles des victimes, mais aussi l’ensemble de la société.
«À cette époque, il y avait environ 20 000 agents de la force publique dans les rues de Kyiv. Parmi eux se trouvent des suspects et des témoins. Ils ont vu qui tirait (…) Et nous n’avons pratiquement pas leurs témoignages, enfin nous en avons eu quelques-uns, mais dans la plupart des cas, c’était sous la menace d’une responsabilité pénale ou déjà en détention. (…) Et le fait qu’ils soient toujours en poste est un message de la part des responsables du ministère de l’Intérieur: « Les gars, j’apprécie ceux qui servent fidèlement et honnêtement, alors je m’en fiche de ces «enquêtes», explique Serhiii Horbatiuk.
Il est convaincu que la tentative de blanchir les suspects est liée au désir des dirigeants des forces de sécurité de garder le contrôle du système.
Par exemple, le chef du département de la sécurité publique de la Police nationale et son adjoint sont des suspects dans l’affaire, et un acte d’accusation contre le chef du département de la sécurité publique de la Police nationale est déjà déposé auprès du tribunal.
«En d’autres termes, trois personnes responsables de la sécurité publique en Ukraine sont soupçonnées d’avoir commis des crimes sur le Maidan où plus de 300 personnes ont été blessées ou tuées. Il est implicitement déclaré: Nous allons vous virer, si vous êtes condamnés. Jusqu’à présent, ils sont importants pour le système», explique Serhii Horbatiuk.
En outre, pour compléter le processus de règlement des litiges avec les accusés , des modifications de la législation ukrainienne sont nécessaires. Actuellement, le bureau du procureur général ne sera pas en mesure de transmettre au tribunal les documents relatifs aux poursuites pénales concernant les organisateurs des meurtres de participants à l’EuroMaidan, aussi longtemps que la Verkhovna Rada ne modifiera pas la législation sur la procédure d’absentéisme.
Le problème est que les suspects se cachent de la justice sur le territoire de la Fédération de Russie et que, par conséquent, le procès devrait avoir lieu par contumace.
Selon la législation en vigueur, la condition préalable à une enquête judiciaire internationale est de mettre en place une recherche internationale des suspects. Cependant, Interpol n’inscrit pas l’ex-président Viktor Yanoukovytch et ses complices dans la recherche internationale, expliquant ce refus par de possibles motifs politiques des poursuites.
«Depuis le début des activités du Bureau des enquêtes préliminaires, toutes les possibilités d’organiser un procès par contumace sont littéralement bloquées», précise Horbatiuk. Selon lui, afin de débloquer le processus, la Verkhovna Rada devrait modifier la législation sur les procès par contumace.