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Maidan, vu par des Français

Ils étaient nombreux à venir sur Maidan. Hommes et femmes, journalistes de télévision et correspondants de la presse écrite. Chercheurs, écrivains et intellectuels. Comme les ukrainiens, ils se rendaient à la place centrale à Kiev, se dispersaient dans la foule et se chauffaient autours des braseros. Ils étaient émus, irrités, dégoûtés, bouleversés. Sympathisants, ils  essayaient de garder le recul. Solidaires, ils tentaient de rester objectifs dans leur observation et réfléchir à la suite de la contestation populaire. Ils ont vécu le moment fort de Maidan avec les ukrainiens.

Trois ans plus tard,  l’UCMC a récueilli leurs témoignages.

 

photo:Сегодня

«Pour moi Maïdan renvoie à ses participants, hommes et de femmes ordinaires, fort éloignés de la politique, qui se sont impliqués en citoyens dans le mouvement protestataire. Ils ont investi la place de l’Indépendance, ont dressé des tentes et construit des barricades. Ils ont fait preuve d’initiative, d’inventivité, d’auto-organisation, de solidarité. Une solidarité inouïe qui ne pouvait qu’impressionner tout observateur extérieur et susciter son empathie. Une solidarité qui s’est traduite pour beaucoup de ces Ukrainiens par une abnégation totale d’eux-mêmes et de leurs vies ordinaires. Les révolutionnaires du Maïdan ont aussi résisté à la répression policière, brutale et meurtrière, en s’équipant de casques, en confectionnant des protections artisanales aux jambes et aux bras, en se professionnalisant dans le maniement de leurs armes de fortune. S’ils ont réussi, au bout de trois mois de mobilisation dans la rue, à acculer le président Ianoukovitch à la fuite, la grande histoire ne leur a pas laissé de répit. Beaucoup de ces citoyens ordinaires poursuivent aujourd’hui leur engagement en tant que bénévoles de diverses causes et agissent pour le bien de leur pays»

Ioulia Shukan, maître de conférences, auteure de «Génération Maidan»

photo: zbruc.eu

«Je n’ai jamais aimé les foules, ni la violence. Et pourtant Maïdan comptera pour longtemps parmi les épisodes les plus forts de ma vie, tant au plan personnel que professionnel. L’odeur des braseros, la soupe collective, l’incroyable solidarité entre participants, la force de la foule, les chants, le patriotisme simple, l’engagement citoyen, la diversité des parcours et des motivations de chacun… Tout cela a donné à ces trois mois une force et une beauté que la violence tragique de la fin de la révolution ne suffit pas à effacer.

A plusieurs reprises, je me suis demandé si mon traitement, dans les pages du Monde, était juste, objectif. Si je n’étais pas trop aveuglé par mon empathie pour le mouvement, par sa puissance brute et immédiate. C’est une question qui revient souvent, notamment en France, celle d’un traitement médiatique de la “crise ukrainienne” qui serait biaisée.

Ma réponse est simple : les valeurs défendues et proclamées par le mouvement correspondaient à celles que défend mon journal, ouvertement : Etat de droit, justice, lutte contre la corruption, démocratie… Et plus tard, quand la guerre aura “remplacé” Maïdan : respect du droit international.

Cela ne doit pas nous empêcher, nous les observateurs, de relater ces mouvements dans toute leur complexité, dans toutes leurs nuances. Maïdan n’était pas seulement la révolte des milieux libéraux pro-européens ; sa composante identitaire, illustrée par l’importance de l’Ouest ukrainien dans le mouvement, était primordiale. Maïdan n’était pas seulement un cri démocratique ; l’extrême droite y a joué un rôle important. Maïdan n’a pas réussi à parler à l’ensemble du pays ; il en a même effrayé une partie.

Cette exigence de sérieux dans le récit des événements – je crois avoir réussi à raconter ces nuances et cette complexité dans mes articles – n’empêche pas l’enthousiasme: Maïdan était beau. L’hymne chanté chaque heure, et qui berçait mes nuits d’écriture, était beau. Plyve Kacha était beau, aussi».

Bénoît Vitkine, journaliste pour Le Monde

 

photo:Правда.if.ua

«Pour moi, la révolte du Maïdan, c’était d’abord une réaction de défense de l’indépendance nationale. Les Ukrainiens ont senti que leur pays pouvait disparaître si Viktor Yanoukovitch restait au pouvoir. Et ils se sont rebellé contre cela avec l’énergie du désespoir. Le plus incroyable est qu’ils ont gagné, quand personne ne croyait que c’était possible».

Alain Guillemoles, journaliste pour La Croix, auteur de «Ukraine. Le réveil d’une nation»

 

photo:DT.ua

«Je suis allée plusieurs fois sur le Maïdan en hiver et au printemps 2014. J’ai été émue par la conviction et l’endurance de gens qui ont passé des mois dans des tentes, par une capacité d’organisation extraordinaire, par l’ordre et la propreté. Pour moi, c’est l’expression même du caractère national ukrainien : l’amour de la liberté, l’autogestion, la solidarité, le partage. C’est tellement différent de l’adoration de l’Etat fort et de la soumission érigée en principe qui sont propres aux citoyens russes! »

Galia Ackerman, écrivaine, auteure de «Traverser Tchernobyl»

photo:censor.net.ua

«Pour moi Maidan c’est une révolution d’un peuple contre un système qui lui volait l’espoir d’un avenir meilleur, plus libre, plus juste.

Ce qui m’a marqué c’est une émotion. Un frisson qui me parcourait à chaque fois que la foule chantait l’hymne ukrainien. Je ne connaissais pas cet air, je suis abri nationaliste. Mais la ferveur avec laquelle cette chanson était reprise, les larmes sur les joues, par toute la place, je m’en souviendrai toute ma vie».

Alexandre Moncayo, journaliste pour l’I-télé 

photo: Православіє в Україні

«Pour moi Maidan, c’est cette journée du 20 février 2014, où tout bascule. Je vois affluer dans le hall de l’hôtel Ukraine des jeunes hommes blessés, transportés sur des civières et pris en charge par des médecins bénévoles. A certains, qui sont dans un état critique, on tend un téléphone portable, pour qu’ils puissent dire un dernier mot à leur famille. Les corps des morts eux, sont couverts d’un drap blanc. Je retiens de cette journée la jeunesse des victimes et la rapidité avec laquelle le hall de l’hôtel Ukraine s’est transformée, sous l’impulsion des “combattants” de Maidan, en hôpital de fortune».

Léa Barracco, journaliste pour l’I-télé 

photo:Companion.ua

« J’habitais en Ukraine depuis 2011, et il était évident, pour moi et les observateurs avisés, qu’un désir de révolution couvait dans la société. Mais je ne m’attendais pas à une telle ferveur populaire, à un tel esprit de cohésion. Le Maïdan a été une expérience sociale extraordinaire, et une preuve de la détermination des Ukrainiens à changer leurs vies. Beaucoup de choses m’ont irrité et déplu sur le Maïdan, mais pas plus que celles qui m’ont fasciné et enthousiasmé. C’était une période d’émotions intenses. Les chants, les feux de braseros, les sandwiches, les rassemblements de masse… Je me rappelle d’un jour de janvier. j’entrais dans un taxi en périphérie de la ville, et une jeune fille que je ne connaissais pas du tout m’a donné 200 UAH “donnez-le aux gars sur le Maidan”. Ca me reste en mémoire parce que c’est tout l’esprit de confiance et d’espoir qui prédominait à l’époque: les gens y croyaient, et faisait tout pour qu’il soit possible d’y croire».

Sebastien Gobert, journaliste pour  Libération, RFI, Le Monde Diplomatique

  

photo: Наш Киев

«Au-delà de la stupéfaction et de la tristesse, au-delà des images bouleversantes et du sentiment de révolte, je garde en mémoire l’exaltation et la créativité des citoyens ukrainiens mobilisés sur Maidan. C’est un aspect qui n’a malheureusement pas suffisamment transparu dans la perception des événements à l’étranger. Voilà pourtant bien l’un des traits les plus charmants du peuple ukrainien: sa fraîcheur et sa spontanéité. Pour la coopération culturelle internationale – qui est la champ d’étude qui m’intéresse avant tout, c’est un atout indéniable».

Francky Blandeau, ancien directeur délégué de l’Institut français d’Ukraine

  
photo: YouTube

«I would need to be a poet to write anything that would even come close to evoking to the beauty and excitement of those first weeks of Maidan. I’ve never read anything that describes it. Life was more vivid in those days. I barely thought about yesterday or tomorrow or anyone who wasn’t there. I remember the first time I saw the kitchen on the ground floor of the Trades Union building and all those volunteers making sandwiches, or the crowd waving the police goodbye after they’d stood their ground all night, resisting their attempts to storm the square. Also of Course the excitement as a journalist of suddenly covering the number one story in the world, being at the centre of everything, making so many new friends. It’s easy now to look back and think that us foreign journalists were too much caught up in it, too impressed by the show, the solidarity and the warmth of the people who were there, that we failed to see the sinister side that was coming, consider the reaction of Russia or, most importantly, even contemplate the incompetence and cynicism that the Ukrainian political “opposition” would later show. Many of us, I think, failed to keep enough sober distance. Easy to say now. But I wouldn’t like to be the kind of person who would not be moved by something as astonishing as that”.

Gulliver Cragg, journaliste pour France 24

 

photo: Вести

Notre Maïdan à nous a été marqué par la solidarité et la compassion. Nous ne pouvions pas rester indifférents par rapport à de tels événements historiques entre novembre 2013 et février 2014. Laure a composé une chanson en hommage aux victimes de la Centurie céleste. Une chanson en français qui a fait l’objet d’un clip avec des photos de Maïdan avec sous-titres ukrainiens.

Cette chanson a été reprise dans le film qui a été réalisé en 2015 par Emmanuel Graf un réalisateur suisse sur Sasha, un jeune ukrainien mort sur la place Maïdan.

De mon côté j’ai rédigé un livre «Russie-Ukraine : de la guerre à la paix ?» qui fut le premier ouvrage à présenter la révolution de la dignité ukrainienne en Europe en juin 2014.

Il fut traduit immédiatement en anglais, en ukrainien et en russe. Un second volume devrait paraître en 2017 comportant tous les articles rédigés depuis dans la presse occidentale. J’y ai développé l’idée principale que Maïdan a été le lieu de réconciliation d’une nation par-delà les différences linguistiques, religieuses et culturelles. Maïdan fut aussi un haut lieu de créativité culturelle. Pour nous ce qui s’est passé sur Maïdan n’appartient pas au passé. Nous croyons que les Ukrainiens n’abandonnerons pas leur idéal de vivre dans un Etat de droit, de s’intégrer dans la grande famille des nations européennes et d’exiger de leurs élites un comportement vertueux et exemplaire. Nous continuons aussi de notre côté notre combat pour que les citoyens de l’Union européenne comprennent que l’Ukraine est une nation amie qui nous permet d’être un peu plus nous-mêmes. Et nous organisons à Kiev les 7-9 juin 2017 une conférence consacrée au thème de la dignité, du service et de la solidarité avec tous ceux qui, en France et en Ukraine, voudront bien participer à ce renouvellement extraordinaire de l’Ukraine.

Laure Arjakovsky, chanteuse et compositrice,

Antoine Arjakovsky, historien, directeur de recherches au Collège des Bernardins à Paris

photo: www.blackseanews.net
Quand j’essaie de me souvenir de Maidan, plein d’images et de sensations me reviennent. Mais celle qui me marquera à vie, c’est la fin de journée du 30 novembre 2013. Le petit Maidan des étudiants vient tout juste de se terminer dans la violence. Quand je suis arrivé sur la place Saint-Michel, après que les étudiants aient été brutalisés, j’ai compris ce qu’était une étincelle révolutionnaire. J’ai regardé assez fasciné la foule, qui montait comme une vague, le tumulte qui surpassait la voix des orateurs au mégaphone au pied de la statue. Les éléments se mettre en place. Les revendications, l’Europe, le drapeau, l’histoire, le fonds des âges. Les cloches du monastère qui se mettent à sonner.
Et puis à un moment, la nuit tombant, je vois ces personnes assez âgées qui marchent de manière désordonnées sur le parvis du monastère en se croisant étrangement, sans vraiment se regarder, un peu comme des robots, avec des luminons à la main, en ruminant leur rage. C’était une scène sans âge, un mécanisme se mettait en place. Des frissons m’ont parcouru  le corps et j’ai compris ce qu’était un mouvement révolutionnaire. J’ai parfois ressenti cette énergie, cette décharge électrique, pendant le reste de la révolution. Mais rarement à une telle intensité que ce soir-là sur la place Saint-Michel. Je ne sais pas si un jour je ressentirai une nouvelle fois sur pa peau ce frisson que j’ai éprouvé cette journée-là.
Je me souviens très bien que cet après-midi-là, au pied de la statue de Sainte Olga, le tout premier à avoir hurlé au mégaphone le mot “révolution” est devenu deux ans et demi plus tard procureur général d’Ukraine, c’est à dire la clé de voûte d’un système de corruption d’Etat digne de la mafia, contre lequel il avait pourtant pousser des milliers de personnes à se rebeller. Avec les conséquences que l’on sait. Cette journée-là me rappelle la responsabilité énorme qu’on les hommes en politique. En Ukraine particulièrement. La duplicité du personnel politique me laisse parfois sans voix.
Stephane Siohan, journaliste, correspondent en Ukraine pour Le Figaro et Le Temps

 À lire aussi:

Glossaire du Maidan

«Génération Maidan» : interview avec Ioulia Shukan. Ioulia Shukan est un maitre de conférences à l’Université Paris Ouest  Nanterre la Défense. Témoin de la révolution à Kiev, elle a fait des nombreux aller-retour entre Paris et Kiev En septembre 2016 elle a fait paraître son livre intitulé «Génération Maidan». L’UCMC lui pose les questions à ce sujet.

«La visite de Poutine à Paris était conçue comme un événement de relations publiques grandiose et un tournant dans les relations franco-russes », Galia Ackerman. L’annulation de la visite de Vladimir Poutine à Paris a mis la fin à  une action de relations publiques importante du Kremlin.  Cette action devait devenir un tournant dans les relations franco-russes.

Maidan comme une barricade entre deux visions du monde et deux civilisations. Un projet international artistique «Identité. Derrière le rideau d’indéfinition » débutera à Kiev. «Deux ans après les événements du Maidan, il faut considérer cet événement comme une barricade entre deux visions du monde et deux civilisations. D’un côté de la barricade, il y avait des gens sans identité précise, prêts à executer des ordres, sans se rendre compte que les gens en face sont des êtres humains et de l’autre côté, ceux qui souhaitent voir, comprendre et protéger des choses ».

L’État et la société civile doivent s’unir pour s’assurer d’une enquête correcte sur les crimes commis contre les activistes du Maidan. Selon un rapport préliminaire du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à ce stade, il n’y a pas assez de preuves pour prouver que les crimes contre l’humanité ont été commis lors des événements du Maidan.

«L’Ukraine gagne en unité» : interview avec Laurent Chamontin, auteur de «Ukraine – Russie: pour comprendre – retour de Marioupol». Né en 1964, Laurent Chamontin est diplômé de l’École Polytechnique (France). Il a vécu et voyagé dans l’ex-URSS. Il est l’auteur de « L’empire sans limites – pouvoir et société dans le monde russe » . L’UCMC lui pose des questions sur son livre en cours de parution.

Principaux points de l’intervention de Laurent Chamontin pour le colloque Ukraine-Russie : comment mettre fin au conflit.