Le réalisateur ukrainien Myroslav Slabochpytsky est devenu célèbre en 2014 après la sortie de son premier long métrage «Tribu». Ce film a reçu 3 récompenses au festival de Cannes dans le cadre du programme «La semaine de la critique ». Le nouveau film de Slabochpytsky «Luxembourg », un long métrage sur Tchornobyl, en est au stade de la production. L’UCMC publie une version courte de l’interview que le réalisateur a donné à l’édition «Den».
«Den»: Quelle est la situation actuelle dans la zone d’exclusion?
Myroslav Slabochpytsky : Assez tendue. Il y a la centrale et la zone. Les gens qui travaillent à la centrale nucléaire de Tchornobyl, arrivent de Slavoutych en train et rentrent dormir chez eux. Les gens qui travaillent dans la zone des 20 km autour de la centrale arrivent d’Ivankov et de Kiev, se déplacent à l’intérieur de la zone et ils travaillent sur tout ce grand territoire excepté la centrale. Depuis l’époque de l’explosion, ces deux mondes sont en opposition. La centrale cherche à s’approprier tout le financement, toutes les ressources. La zone a ses propres intérêts. Donc, il y a une hostilité entre ces deux mondes. Et ce terrible couvercle qui se dresse au-dessus des restes de la centrale provoque la peur parmi le personnel, la peur d’être abandonné, trahi, qu’on leur coupe le financement.
« Den» : Maintenant, 30 ans après, que représente la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchornobyl?
M.S. : C’est une grande explosion qui a marqué le début de notre indépendance, analogue à la Grande explosion qui a lancé l’Univers. Cette explosion a été suivie par la chute de l’Union Soviétique, les révolutions, et l’éloignement de l’Ukraine de l’espace soviétique a commencé à ce moment là. Ce jour-là, l’URSS a reçu le coup de grâce : cela se voyait dans le comportement du pouvoir, dans les prétentions que Kiev présentait à Moscou qui cachait la vérité, mais le monde a appris l’existence de l’Ukraine, même sous cette forme-là. C’est un point de départ. Les Biélorusses ont souffert aussi, mais c’est comme ça : ça reste une histoire ukrainienne.
D.: Et la réalisation du film en est à quelle étape?
М.S.: Et bien, je dirai que nous en sommes au processus de la réalisation. Ça fait un petit bout de temps que je travaille dans la zone. Elle est comme une dépendance à la drogue et je suis devenu dépendant aussi. Là, je veux faire un film définitif sur la zone. Le faire comme personne ne l’a jamais fait avant.
D.: Cependant, il y a beaucoup de choses tournées au sujet de la zone…..
М.S.: Et, parallèlement, personne ne l’a vraiment vu sur l’écran, car personne ne s’y est infiltré si profondément. Cela ne veut pas dire que mon film contiendra des enquêtes sensationnelles. Je dirais plutôt que mon film est une comparaison avec les enquêtes journalistiques sur la zone et la catastrophe qui sont publiées en permanence. Nous essayons de regarder Tchornobyl comme personne ne l’a jamais regardé avant. Quand vous arrivez, on vous fait une formation sur la sécurité en expliquant que le territoire de la zone de Tchornobyl est égal au territoire du Luxembourg.
«Le pays de Dostoïevski, Tolstoï, Diaghilev, du théâtre Bolchoï a attaqué un territoire quelconque »
М.S.: Les livres, les films et autres choses font d’un pays non pas un simple endroit sur une carte, mais un phénomène, pour lequel les intellectuels éprouvent de l’empathie. Les intellectuels sont ceux qui établissent l’ordre du jour pour les gouvernements de leurs pays. Vu que l’Ukraine ne s’est jamais occupée de sa culture, la position des intellectuels occidentaux était la suivante : le pays de Dostoïevski, Tolstoï, Diaghilev, du théâtre Bolchoï a attaqué un territoire quelconque. J’étais en France et j’ai vu tout cela. Dans la société moderne, la culture est en quelque sorte un substitut laïc de la religion. Si le pays ne verse pas de cotisations à noosphère européenne de la culture, comment peut-il s’attendre à une réponse émotionnelle. Les Russes ont très bien calculé leur coup en dépensant beaucoup d’argent pour promouvoir leur art en Europe. Alors, pour nous aussi, l’exportation de notre art doit devenir une question de culture. Si vous tenez à coopérer avec une élite intellectuelle européenne ou américaine, il vous faudra exporter une belle culture. Le citoyen occidental ordinaire doit savoir que des barbares ont attaqué un pays où il y a de bons films et une belle littérature.